Être commerçant en centre commercial : une bonne idée ?

Certains voient dans les centres commerciaux une manière de se développer rapidement : clientèle affluente et nombreuse, possibilité d’accroître significativement son chiffre d’affaires, …

Mais il ne faut pas occulter que posséder un bail dans un centre commercial soulève des questions juridiques importantes. Il s’agit notamment du statut des baux commerciaux. Peut on considérer que le bail conclu entre le commerçant (le preneur) et l’exploitant du centre commercial (le bailleur) est un bail commercial, et bénéficier des avantages de ce statut ?

Valoxy, cabinet d’expertise comptable dans les Hauts de France, fait le point des implications et des autres aspects juridiques soulevés par la question du bail dans un centre commercial.

I. L’application ou non du statut des baux commerciaux

A. L’exploitation des locaux : l’absence d’autonomie de gestion

Lorsqu’un commerçant souhaite exploiter un emplacement loué dans un centre commercial, il doit se plier à un certain nombre de règles strictes et sévères. Ces règles sont incompatibles avec l’autonomie de gestion dont il doit faire preuve  s’il souhaite bénéficier du bail commercial : absence d'autonomie de gestion

  • Le propriétaire de l’enseigne du centre commercial a généralement un droit unilatéral sur la détermination du fonctionnement des boutiques du centre. Le cas typique est celui des horaires d’ouverture et de  fermeture imposés.
  • Obligation, dans la majorité des cas, d’adhérer à une association de commerçants. Ces associations fournissent des prestations de services  contre le versement de cotisations. Il s’agit de gestion des services communs du centre, d’organisation de la publicité, de promotions et d’animations, etc.
  • Obligation de souscrire un contrat de concession ou de franchise pour l’exploitation du local ou de l’emplacement.

L’ensemble de ces éléments permettent généralement aux juridictions saisies de refuser le bénéfice du bail commercial. Au prétexte que le commerçant n’est pas libre dans sa gestion, celui-ci se soumettant entièrement ou presque au règlement du centre commercial.

Remarque : la Cour de cassation a, par plusieurs arrêts, considéré que l’obligation d’adhérer et l’interdiction de quitter l’association de commerçants étaient des clauses nulles. Toutefois, en pratique, les commerçants y adhèrent pour bénéficier des avantages quant à la visibilité que cela procure.

B. L’absence de local stable et permanent

La jurisprudence refuse généralement de reconnaître que le commerçant exploitant une activité au sein d’un centre commercial possède un local stable et permanent.

En effet, les clauses du bail permettent le plus souvent au centre de modifier unilatéralement le local. Il peut être restreint, et le bailleur pourra aussi imposer un autre lieu dans la galerie marchande par exemple. De cette sorte, on ne peut reconnaître au commerçant la notion de local stable et permanent au sens du droit du bail commercial.

C. Pas de clientèle propre et autonome

fonds enclavés Les tribunaux mettent régulièrement en avant le fait que les commerçants du centre ne sont pas titulaires d’une clientèle propre et autonome : c’est la problématique dite des « fonds enclavés ».

On parle de fonds de commerce enclavé quand, comme son nom l’indique, un fonds de commerce se trouve à l’intérieur d’un autre fonds de commerce. Dans cette configuration, le fonds dit enclavé ne bénéficie pas d’une réelle autonomie. Il n’existe, sauf preuve contraire, que du fait de la clientèle du premier fonds.

C’est notamment le cas du commerçant implanté dans un centre commercial : il bénéficie d’une clientèle qui, d’une façon dominante, provient de celle du centre commercial.  Elle vient en priorité pour le centre commercial, et non pour le commerçant.

D. En conclusion : centre commercial signifie-t-il absence de bail commercial ?

Il serait faux de préjuger que dès lors qu’un commerce est implanté dans un centre commercial, il n’a pas droit au statut des baux commerciaux.

En effet, dès lors, par exemple, que le commerçant possède un local propre, permanent et stable il peut bénéficier du statut des baux commerciaux :

  • posséder une vitrine et une entrée indépendante du centre commercial, que le commerçant exploite sans l’aide du centre,
  • bénéficier d’horaires dérogatoires à ceux du centre,
  • Avoir une enseigne suffisamment attractive pour drainer une clientèle propre et indépendante de celle du centre.

Ces indices peuvent permettre aux commerçants de démontrer que leur bail est bien un bail commercial. Il bénéficient ainsi de ses avantages, mais la tâche n’est pas aisée.

II. Les obligations des parties

A. Pour le preneur : le cas du loyer

On a vu que l’exploitation d’un commerce au sein d’un centre commercial est particulière. Le loyer ne déroge pas à ces principes et appelle quelques remarques : clauses-recettes

En pratique, le loyer est généralement indexé sur le chiffre d’affaires, assorti parfois d’une clause de loyer minimum garanti. On parle de « clause recettes ».

Seul le bail entre les parties peut prévoir ce type de clause. En effet, de telles modalités de fixation du loyer ne correspondent pas, selon la jurisprudence, à une clause d’échelle mobile (article L145-39 du Code de Commerce).

Il convient donc de faire attention à la convention de bail. Il est nécessaire de se faire assister par un professionnel du droit au moment de la rédaction et de la signature du bail.

B. Le bailleur

1. Les obligations générales du bailleur

Le bailleur est soumis à un certain nombre d’obligations générales faites à tout bailleur de locaux commerciaux :

  • Il doit livrer des locaux conformes à l’usage prévu,
  • entretenir les lieux loués,
  • conserver les lieux donnés à bail en l’état, et ne pas les modifier. À ce titre, le bailleur ne doit pas entreprendre des travaux qui viendraient à modifier les locaux loués à peine de condamnation.

2. Quelques obligations particulières du bailleur

Il serait fastidieux de faire une liste complète et détaillée de l’ensemble de ces obligations. Celles-ci dépendent en effet largement des contrats de bail conclus par le centre.

On peut toutefois relever deux exemples en s’appuyant sur la jurisprudence :

  • Obligation de gardiennage et d’ouverture sans interruption du centre
  • Obligation d’entretien des parties communes du centre,…

III. Situations induites par l’exploitation d’un commerce en centre commercial

A. Le renouvellement

le renouvellement du bail Les clauses classiques de renouvellement sont prévues dans la convention entre les parties.

Généralement ce renouvellement s’accompagne d’une variation du loyer et peut entraîner des complications juridiques si la convention est mal rédigée. En effet, seule la convention, ici aussi, régit les aspects du renouvellement. Elle devra donc être bien rédigée.

Le bailleur peut, bien entendu, refuser le renouvellement, pour des causes précisées dans la convention. Une indemnité d’occupation peut alors être due par le locataire si celui-ci ne quitte pas les lieux.

B. La concurrence dans le centre commercial

L’une des qualités essentielles des centres commerciaux est leur attractivité : pour cela, il est nécessaire d’assurer une certaine diversité de magasins et d’enseignes  pour attirer une clientèle plus nombreuse.

Dans cette optique, il n’est pas rare de voir dans le contrat de bail ou dans le règlement de copropriété une clause interdisant la location d’autres parties du même ensemble pour l’exercice d’un même commerce.

D’un point de vue strictement juridique une telle clause n’est pas valable en copropriété mais, du fait de la particularité des centres commerciaux celle-ci est admise ou prévue par d’autres moyens :

  • Ces clauses sont admises dans les centres commerciaux « isolés » car éloignés de tout autre commerce par exemple.
  • La clause peut revêtir la forme d’une servitude de non-concurrence : l’interdiction est valable si elle n’est pas contraire à l’ordre public et limitée à un lieu déterminé.
  • La notion de non concurrence peut aussi prendre la forme d’une clause interdisant aux commerçants, pendant la durée de leur bail, d’ouvrir une boutique dans un autre centre sous les mêmes enseigne et marque.

C. Centre commercial sans succès

Généralement le bailleur d’un centre commercial n’a pas d’obligations plus étendues que celles du bailleur ordinaire : délivrance, entretien, jouissance paisible des locaux.

La faute grave ou le non-respect d’un engagement contractuel du bailleur peut entraîner l’indemnisation d’un commerçant en cas d’insuccès.  Le bailleur du centre commercial a donc une obligation de moyens. Mais il faudra prouver la faute du bailleur pour obtenir réparation.

On peut, en s’appuyant sur des affaires déjà jugées, soulever quelques exemples :

  • Si le bailleur s’est engagé à garantir la viabilité du centre pendant une certaine durée et sous une forme précise : le non-respect donne droit à indemnisation
  • Le caractère mensonger de la publicité faite pour attirer les clients dans le centre
  • La non réalisation de travaux nécessaires au succès et à la pérennité du centre et pour lesquels le bailleur s’est engagé.

Conclusion : exploiter un commerce dans un centre commercial peut se révéler extrêmement porteur. Notamment en matière de rentabilité et de développement du commerce. Toutefois, on l’a vu, les pièges sont nombreux et il est simple de se retrouver dans une situation défavorable. Il convient donc de se faire accompagner juridiquement tout au long de l’opération pour éviter les mauvaises surprises.

Pour plus d’informations sur le bail commercial, retrouvez nos articles sur le blog de Valoxy :

réunion de travail 21

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